Last Christmas
Je ne vous demande pas où vous avez passé la nuit de Noël.
D’abord, je suis trop bien élevé pour m’ingérer dans ce qui ne me regarde pas.
Et ensuite – je vous en fais juge – qu’est-ce que ça peut bien me f..., l’endroit où vous avez passé la nuit de Noël, en admettant même que ce soit là où vous l’ayez passée !
M. votre serviteur, qui n’a pas vos raisons obliquement boueuses de dissimuler ses actes, se sent tout disposé à vous raconter, non pas par le menu, sa nuit de Noël, mais tout au moins un incident fort comique relatif à cette nocturne solennité, incident assez comique pour l’égayer, croit-il, juqu’au seuil de son froid sépulcre, laps, d’ailleurs, peu démesuré.
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La paroisse de Balaguier (Var) possède à sa tête l’un des plus sympathiques ecclésiastiques de tout le diocèse de Fréjus, l’excellent curé-doyen M. La Sinse.
Bien que divergeant fort sur le tapis de la question religieuse (l’auteur de ces lignes poussant la dévotion jusqu’au mysticisme et M. l’abbé La Sinse ne croyant ni à Dieu ni à Diable), l’auteur de ces lignes et M. l’abbé La Sinse s’entendent à merveille sur les points les plus importants de l’existence, notamment, pour ne citer que celui-là, la façon dont un honnête homme doit s’y prendre pour accomplir une bouillabaisse véritablement digne de ce nom, ou tout au moins les établissements vers lesquels il sied de se diriger afin d’y déguster, dans les plus sublimes conditions possibles, cette divine ratatouille.
Quand on s’entend sur ces questions-là, voyez-vous, on n’est pas bien loin de tomber d’accord sur tout le reste.
Il fut donc convenu que certains mauvais sujets de notre promotion, dont M. votre serviteur, assisteraient à la messe de minuit en l’église de Balaguier, après quoi tout le monde, y compris le brave curé-doyen La Sinse, prendrait la direction de la vieille chapelle, depuis longtemps laïcisée, de Notre-Dame-de-la-Bouillabaisse, desservie par le père Louis, moine hilare qui se rit des foudres du père Combes[28].
La messe de minuit à Balaguier revêtait ce jour-là, si j’ose ainsi dire, un caractère assez sensationnel.
Songez donc ! Grâce à la générosité du député de l’endroit, M. Louis Martin, l’abbé La Sinse avait pu acquérir, pour sa crèche, un joli petit enfant Jésus en plâtre, tout blanc, tout blond, tout rose, un petit Jésus auquel il ne manquait, vraiment, que la parole, la douce parole du petit Jésus.
Oui, mais voilà ! patatras.
Oh ! oui, patatras !
Et faut-il, mon cher Audiffren[29], que dans votre personnel, si bien séligé pourtant, se rencontrent des matelots assez peu soigneux pour débarquer avec autant de violence de sacrés colis, ou, pour plus dignement m’exprimer, des colis sacrés à l’adresse de M. le curé-doyen La Sinse.
Bref, le cadeau de M. Louis Martin parvint sinon en miettes, du moins, ce qui ne vaut guère mieux, centuplement fragmenté.
Le désespoir de l’abbé La Sinse commençait à échapper à toute description (« Ma crèche ! ma crèche ! » ne cessait-il de clangorer), quand son premier chantre, le brave Marius Cayol, eut une inspiration de génie :
– Ne pleurez plus, nous remplacerons le santon par un vrai pitchoun, le mien.
Oui, mais repatatras !
– Non, fit Mme Marius Cayol, tu ne vas pas m’enrhumer le petit.
Et Marius Cayol, qui n’a qu’une parole, se vit forcé de remplacer son enfant promis par – on prend ce qu’on trouve – la petite fille de Baptistin Codur, le jardinier voisin.
La petite fille de Baptistin Codur sembla, dès le début de cet exercice, y goûter le plus vif divertissement, mais, jugeant sans doute que les meilleures blagues appellent une fin proche, elle se démena bientôt si fort dans sa crèche que ce ne fut, par l’église de Balaguier, qu’une tumultueuse traînée de poudre.
– Le petit Jésus est une pitchounette !
Les Oeuvres, elles-mêmes, de l’abbé Loisy ne causèrent jamais par le monde catholique un tel scandale !
Scandale – ne moisissons pas à l’ajouter – doublé d’une allégresse sans bornes !
– Le petit Jésus est une pitchounette !
... Cependant qu’affolé, perdant la tête, le touchant abbé La Sinse accourait de la sacristie, avec, en ses doigts, un fragment – et non le moins intéressant – du plâtre brisé.
– Mettès li lou bout ! s’écriait-il en provençal. Mettès li lou bout !
On riait ! On riait !
J’ai pensé que le docteur Raphaël Dubois a en ferait une maladie.